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mercredi 28 mars 2018

La guerre n'a pas un visage de femme

Titre original : U voyny ne zhenskoe litso.
Auteur : Svetlana Alexievitch.  
Editions : J'ai Lu.  
Parution : 2005.

Genre : Mémoires.
Nombre de pages : 414 pages.



Synopsis : "La Seconde Guerre mondiale ne cessera jamais de se révéler dans toute son horreur. Derrière les faits d'armes, les atrocités du champ de bataille et les crimes monstrueux perpétrés à l'encontre des civils, se cache une autre réalité. Celle de milliers de femmes russes envoyées au front pour combattre l'ennemi nazi. Svetlana Alexievitch a consacré sept années de sa vie à recueillir des témoignages de femmes dont beaucoup étaient à l'époque à peine sorties de l'enfance. Après les premiers sentiments d'exaltation, on assiste, ou fil des récits, à un changement de ton radical, lorsque arrive l'épreuve fatidique du combat, accompagnée de son lot d'interrogations, de déchirements et de souffrances. Délaissant le silence dans lequel nombre d'entre elles ont trouvé refuge, ces femmes osent enfin formuler la guerre telle qu'elles l'ont vécue. Un recueil bouleversant des témoignages poignants."

Avis : Depuis un certain temps, j'éprouve l'envie de découvrir des œuvres de nationalités étrangères et diverses. J'étais curieuse de découvrir une autrice russe, La guerre n'a pas un visage de femme de Svetlana Alexievitch m'a semblée être une bonne opportunité. Le sujet dont il traite n'a fait que me rendre encore plus curieuse. Je ne regrette nullement l'aventure. Au début de l'ouvrage, on trouve une partie méthodologique où l'autrice nous rapporte ses méthodes de travail. Il comporte une partie consacrée à l'auto-censure, que j'ai trouvée intéressante. En effet, nous sommes nombreux à nous auto-censurer. Dans ce genre de témoignage, ce type de comportement n'est que plus récurrent. Toutefois, la narratrice va plus loin: elle avoue elle-même s'être auto-censurée, avant de se raviser, préférant livrer son matériel de travail tel qu'il était, sans coupure. Cela peut expliquer l'impression de « brouillon » de certains lecteurs, qui ont pu se sentir perdus au fil du texte. Pour ma part, ça n'a pas été le cas. Je n'ai eu aucun mal à me retrouver dans ma lecture. Celle-ci se décompose sous plusieurs intitulés, plusieurs sujets, ce qui permet d'instaurer une certaine cohérence dans le texte. 

Une fois qu'on a terminé l'introduction méthodologique, on découvre les premiers témoignages. Poignants. L'un des premiers récits m'a profondément marquée, au point que je m'en souvienne encore aujourd'hui, alors que je l'ai lu il y a quelques mois. On est confronté à l'instinct de survie de l'être humain, poussé dans ses retranchements, dans ses limites. On en vient à faire, penser, dire des choses, qui nous semblaient impossible. Plusieurs de ces femmes repensent à certains de leurs actes avec honte, culpabilité, dégoût. On lit ces confidences, ces moments qui ont tant marqués leurs vies. On a la gorge nouée, un nœud au cœur. Je ne saurai expliquer correctement ce que j'ai ressenti pendant ma lecture. J'étais véritablement plongée dans celle-ci, comme si j'y étais. J'avais la sensation d'être avec elles, avec toutes ces femmes. Avant de commencer La guerre n'a pas un visage de femme, je pensais naïvement le parcourir petit à petit. Grave erreur. Il ne m'a fallu qu'une journée pour le terminer.

Les témoignages se révélent tellement poignants, captivants, puissants, qu'il nous est difficile de les laisser. Si on lâche notre lecture, on a le sentiment de les abandonner, de les laisser seules, dans leurs enfers. C'est un sentiment totalement erroné, mais c'est ce que j'ai ressenti à titre personnel. Alors je continuais. On découvre des personnages atypiques, aucune femme ne se ressemble. Tandis que certaines éprouvent de la honte vis à vis de leurs agissements et vivent mal avec leur passé, d'autres s'en sont accommodées et ont refait leur vie en assumant leurs actes. On apprend qu'un grand nombre d'entre elles ont été incitées à garder le silence sur leur passé au cours de la guerre. Tous les soldats ont subi des choses atroces, qui les ont poussé à agir d'une manière qu'ils n'auraient jamais cru possible. Plusieurs problématiques sont soulevées. Il me vient l'exemple d'une femme tireuse d'élite qui a pris l'initiative de tuer un soldat allemand, puis se met à réfléchir : ai-je bien fait ? Ce geste en valait-il la peine, même s'il s'agit d'un allemand ? Un ennemi, qu'ils ont tous appris à mépriser, à hair, avec une rage exponentielle ? Elle n'avait jamais tué avant et cette prise de conscience la saisit, la paralysant de tous ses membres. La camarade qui l'accompagnait essaye de la réconforter, la félicite. Pourtant, cela ne suffit pas à lui enlever l'idée qu'elle a ôté une vie humaine. Cela fait partie des témoignages qui me sont restés à l'esprit. J'ai aimé m'interroger, apprendre des choses, en remettre d'autres en question.

On découvre leur sort, à ces femmes qui se sont battues pendant la Seconde Guerre Mondiale aux côtés des hommes soldats et on s'indigne. On s'attriste. On s'énerve. On est dépité. Pourquoi ? Il était saisissant de constater que les rapports entre hommes et femmes s'est amélioré durant la guerre, sur le champ de bataille. Si au début les femmes soldates ont été sujet de raillerie, elles ont rapidement fait leurs preuves, au point d'être acceptées au même tire que leurs compagnons masculins. Elles nous le disent : ils formaient un front uni, égaux, dans la même situation. Ils s'entraidaient, oubliant tous les préjugés et conventions qui les emprisonnaient et les éloignaient. Ces femmes nous expliquent que la guerre les a rapprochés. Malgré toutes les horreurs subies, il y avait cette consolation : elles se sentaient à leur place. Elles se sentaient utiles, efficaces, de même que leurs camarades. C'est saisissant de prendre conscience qu'il ait fallu l'arrivée de la guerre pour qu'une telle évolution arrive. Puis, la guerre se termine. Les choses redeviennent « normales », aussi « normales » qu'elles l'étaient avant la guerre. Cela a pour effet de bouleverser le quotidien de ces femmes : elles avaient appris à vivre d'une certaine manière, maintenant, il leur était demandé d'agir de nouveau comme avant. Alors que c'était impossible. Pourtant, on ne leur a pas laissé leur chance : insultées, méprisées, ignorées. Considérées comme des « femmes impures » avec pour seul but de distraire les hommes par les femmes, on reniait leur rôle, leur implication, leurs souffrances. Les hommes qu'elles avaient connu, les ont ignorés. Ont détourné les yeux. Ont agi comme s'ils n'entendaient rien, ne voyaient rien. Abandonnées. Pour finir par être oubliées de l'Histoire. Elles nous expliquent leur détresse, leur sentiment d'injustice, leur honte. Oui, car ce qu'elles subissent les contraignent à voir leur passé comme une honte, alors qu'on célèbre les actes des hommes soldats, considérés comme courageux. Les femmes, elles, ne sont que des intrigantes, ni courageuses, ni fortes. Nous, lecteurs, nous sommes indignés. J'étais indignée. Je me souviens encore d'un passage où l'une des femmes rentre chez elle, pas grièvement blessée (ce qui est en soi un exploit). Elle est accueillie avec chaleur par sa mère, avant qu'on lui demande si elle avait parlé de son rôle pendant la guerre. Non, répond-elle. Parce qu'il fallait comprendre : sa petite sœur devait trouver un mari. Si quiconque apprenait le passé de soldat de sa sœur aînée, il en serait fini pour elles. J'étais déconcertée. On leur a imposé le silence pendant des années, leur refusant leurs souffrances, leur légitimé, leur voix

A ce moment-là, j'étais vraiment contente d'avoir découvert cet ouvrage. La majorité des lecteurs sont de ceux qui aiment « voyager », s' « aérer l'esprit ». J'en fais partie. Mais je fais aussi partie des lecteurs désireux d'apprendre. Ici, je n'ai pas été déçue une seule seconde. Mieux : mes attentes ont été comblées et plus encore. Si je dois être honnête, je dois reconnaître La guerre n'a pas un visage de femme comme un coup de cœur. Le titre est équivoque : en songeant à la guerre, on n'envisage pas l'éventualité d'un soldat féminin. Pourtant, il y en a eu. A nous de ne pas les oublier et de nous intéresser à leur histoire.

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